Tunisie : quand la pauvreté explose à la figure de la croissance économique

14/01/2011
Antiimperialistische Koordination
Les protestations qui continuent depuis un mois en Tunisie montrent clairement la discordance entre les chiffres encourageants de la croissance économique du pays et l’appauvrissement croissant de la population. Cette fois-ci ce n’est pas à cause du terrorisme islamique que la région reçoit l’attention des médias. Il s’agit de protestations sociales et politiques contre la politique économique de libéralisation et la répression du régime de Ben Ali, qui démasquent les mensonges de l’Occident sur la Tunisie « pays modèle ». Elles donnent en outre une image des formes de protestation sociale auxquelles il faudra s’attendre dans d’autres pays du « tiers monde ».

Tout a commencé le 18 Décembre 2010 quand Mohammad Bouazizi, un marchand ambulant de Sidi Bouzid (215 km au sud-ouest de Tunis), s’est publiquement immolé par le feu par désespoir pour sa pauvreté sans voie d’issue. Le jeune diplômé au chômage gagnait sa vie par la vente de légumes dans la rue. Lorsque la police l’a chassé brusquement de sa place (les fonctionnaires l’ont giflé et on craché sur lui), il a accompli son geste désespéré qui par la suite lui a coûté la vie en raison des graves brûlures.

Cet évènement a déclenché une vague de protestations dans la ville provinciale, qui ont été sévèrement réprimées par les forces de sécurité. La violence de la police et les arrestations des manifestant ont provoqué d’ultérieures protestations dans la ville, qui s’est vue bientôt isolée du monde extérieur.

Malgré la censure d’Etat les nouvelles venant de Sidi Bouzid ont été rendues publiques et ont provoqué une vague de solidarité. Le régime de Ben Ali a réagi aux protestations de la société civile par une répression excessive et des arrestations de masse. L’entité de la répression a eu pour conséquence de porter une grande partie de la société civile (syndicat, organisations pour les droits humains, partis d’opposition légaux ainsi qu’illégaux) contre le régime. Par sa façon d’agir le régime s’est fait des ennemis même des forces les plus modérées du pays.

La protestation sociale contre le manque d’emploi (13,5% d’aptes au travail, 35% parmi les diplômés) et la hausse des prix s’est transformée peu à peu, par la répression de l’Etat, en mouvement de masse pour les droits démocratiques et la réforme de l’Etat. En même temps les protestations ont atteint tous les coins de la Tunisie, soutenues par les jeunes des quartiers pauvres.

Ben Ali, qui gouverne avec une poigne de fer depuis 1987, n’a vu d’abord dans ces protestations rien d’autre que « des violences déclenchées par des éléments étrangers, qui donnent une mauvaise image du pays aux touristes et aux investisseurs ». Dans un discours successif, pendant lequel il a promis la création de 300.000 emplois, il a encore décrit les manifestants comme « une minorité de personnes masquées qui sont manœuvrées de l’étranger, à savoir par ceux qui envient la Tunisie pour son succès, qui a été témoigné par d’impartiales organisations internationales ».

La traduction de ce discours dans la pratique s’est manifestée par la répression violente des protestations. La police tunisienne a tiré sur la foule. Au cours des deux dernières semaines une cinquantaine de personnes ont été tuées par les balles de la police. Les hôpitaux ont accueilli des centaines de blessés. Le gouvernement a fermé les écoles et le universités, pour empêcher les rassemblements des étudiants et des jeunes.

Le régime, qui avait été jusqu’ici très efficace dans l’écrasement préventif de toute forme d’opposition, n’est pas habitué aux voix discordantes. De milliers d’organisations de la société civile, seulement cinq sont officiellement autorisées, et même celles-ci ont souffert de persécutions de la part du régime. Par contre, les recettes de la Banque Mondiale pour la libéralisation de l’économie ont été suivies de manière exemplaire. Autour de Ben Ali et de son épouse s’est construit un clan familial qui s’est approprié des ressources du pays et a monopolisé les entreprises. La politique de libéralisation a liquidé la plus grande partie de l’industrie d’état et endommagé l’agriculture. Les conquêtes de l’époque Bourghiba sur le plan social et de l’éducation ont été progressivement démolies. La corruption et la répression ont conduit à la naissance de structures de type mafieux autour de la famille du président. La majorité des Tunisiens sont exclus de la prétendue croissance économique.

Tant que Ben Ali a eu du succès, il est resté un partenaire fiable pour l’Occident, qui veillait à la stabilité de la région et tenait l’Islam politique en échec. Pendant des années l’UE e les USA (et leurs médias) ont fermé les yeux sur les rapports concernant les droits de l’homme en Tunisie. Tant que les vacanciers européens pouvaient profiter de la prospère région touristique le long de la côte, ils ne s’intéressaient pas à la situation précaire de l’intérieur. Maintenant Ben Ali ne semble toutefois pas être en mesure de réprimer rapidement les protestations.

Aussitôt que ses protecteurs en France et aux Etats-Unis ont commencé a douter de l’efficacité du président, a commencé la recherche d’un partenaire plus fiable. Après un long silence, les européens et les Etatsuniens se sont dits « préoccupés par la situation ». Ils n’ont toutefois demandé que la libération des bloggeurs et des activistes d’Internet arrêtés...

En Tunisie il y a eu une vague de protestations similaire contre la libéralisation des prix des denrées alimentaires de base et de la hausse des prix qui en a découlé. Le parti algérien au pouvoir, le FLN, peut toutefois encore compter sur une base de bureaucrates et de bénéficiaires et d’un fort enracinement dans l’armée. Il n’est pas centré autour d’une seule personnalité. Au contraire Ben Ali ne gouverne que par son appareil de sécurité (130.000 policiers et un vaste réseau d’espions), qu’il avait déjà construit à l’époque de Bourghiba. C’est pour cela qu’il dispose d’un plus petit espace de manœuvre que le FLN en Algérie. Le compromis qu’a conclu le FLN avec les masses après la vague de protestations serait une défaite totale pour Ben Ali. Ben Ali ne gouverne en effet que grâce à l’intimidation et doit sortir de cette confrontation comme vainqueur absolu, s’il veut continuer de gouverner. Où la police a échoué, Ben Ali a envoyé l’armée dans les villes. Cependant l’armée a refusé pour le moment d’intervenir contre les manifestants et a limité sa présence a la défense des bâtiments publics.

Apparemment les protestations ont pris aussi bien par surprise l’opposition, qui n’avais jamais pris en compte une telle révolte et qui donc n’y était pas préparée. Les partis ont été détruits par des années de répression. Les leaders potentiels ont toujours été arrêtés sur-le-champ. Néanmoins une grande partie des diplômés qui ont pris part aux manifestations avaient aussi été politiquement actifs pendant leurs études. Ceux-ci assurent en ce moment la continuité et donnent aux protestations une articulation politique.

Encore que la direction du seul syndicat du pays (Union Tunisienne du Travail) n’ait critiqué que timidement l’action violente de la police, les centres locaux du syndicat sont devenus des points de rassemblement pour les contestataires. La grève générale décrétée pour le 12 janvier a été largement respectée.

Les évènements en Tunisie sont sans précédent dans la mesure où les murs de la peur et de l’intimidation a été brisés. L’empereur est nu et tout le monde le dit. La continuité de la révolte populaire (quatre semaines depuis la publication de cet article) et l’incapacité du régime laissent présager une aggravation de la situation. Il est encore incertain si l’opposition tunisienne sera capable de transformer le mouvement politique actuel en mouvement de masse qui puisse renverser le régime de Ben Ali et de sa mafia et obtenir une véritable démocratisation et la redistribution des ressources su pays.

Ce qui est toutefois sur en ce moment, c’est que les taux de croissance et la stabilité politique dans l’économie néolibérale de marché sont trompeurs. Les évènements tunisiens indiquent les fissures dans les piliers creux des régimes compradores, sur lesquels se base la domination impérialiste de l’occident.

La seule réponse à l’oppression et la pauvreté globales ne peut être qu’une Intifada globale.

Antiimperialistische Koordination
Vienne, le 11/01/2011