" Je voulais seulement faire un stade de foot "

14/09/2005

Le rà©cit dramatique de Haj Ali al-Qaisi, le dà©tenu encagoulà© d`Abou Ghraib

LARS AKERHAUG

" Ils m`ont fait monter sur un tabouret, avec un capuchon sur la tàªte et les bras en croix. Ils m`ont dit qu`ils allaient me faire des dà©charges à©lectriques. Moi, je n`y ai pas cru. Alors ils ont pris deux cà¢bles et les ont enfilà© dans mon corps. J`avais l`impression que mes yeux jaillissaient hors des orbites. Aprà¨s, je suis tombà© par terre ". Voici l`histoire de Haj Ali al-qaisi, celui dont le portrait - capuchon noir sur la tàªte et à©lectrodes- a fait le tour du monde, quand les photos faites à  Abu Ghraib ont à©tà© publià©es.

Avant que ne commencent ses ennuis avec les amà©ricains, Ali à©tait un mukhtar, un chef de village, dans le district d`Abu Ghraib. Il parlait dans les mosquà©es, cultivait des dattes et gà©rait un parking à  cà´tà© de la mosquà©e locale. Quand on le voit, Haj Ali est loin d`àªtre un personnage inquià©tant. C`est un homme d`aspect aimable, on imagine difficilement comment il a pu recevoir un tel traitement, comment on a pu le destiner aux tortures infernales d`Abu Ghraib.

" Mes problà¨mes avec les amà©ricains ", raconte Ali, " ont commencà© quand j`ai trouvà© un terrain vague et que j`en ai fait un terrain de jeux pour les enfants ". Ali explique que les amà©ricains avaient commencà© à  amener là  les poubelles de la zone de l`aà©roport, qui contenaient entre autres des excrà©ments et des revues pornographiques. Un mà©decin de la zone avait signalà© de nombreux cas de blessures chez les pauvres qui fouillaient dans les dà©chets, à  la recherche d`objets de valeur. " Avant ", plaisante Ali, " je pensais que la dà©mocratie amà©ricaine à©tait un terrain de jeu. Au contraire ils ont rà©duit cette zone à  un dà©potoir de produits chimiques, d`excrà©ments et de pornographie ".

Le capitaine Philips

En tant que responsable du village, il essaye de protester contre cette situation, auprà¨s de l`administration. " Cette dà©nonciation ", dit Ali, " a marquà© le dà©but de mes tourments ". Le 30 octobre, à  onze heures du matin, il est enlevà© par des soldats dans la rue où il à©tait en train de travailler, et emmenà© sur une jeep hammer. On le transporte à  al-Amriye, une ex-base militaire irakienne transformà©e maintenant en centre de dà©tention amà©ricain. Là  il rencontre un certain capitaine Philips, qui lui dit : " Je ne sais pas quelle agence a demandà© ton arrestation mais tu vas àªtre dà©tenu ici ". De nombreuses personnes de sa famille, qui avaient appris son arrestation, viennent demander qu`on le libà¨re. Le capitaine Philips demande à  Haj Ali s`il croit que les personnes à  l`extà©rieur vont attaquer. " Je ne sais pas ", rà©pond Ali. Il est restà© là  deux jours. Le matin du troisià¨me jour de dà©tention, on le transporte avec un sac sur la tàªte dans la prison d`Abu Ghraib. " Bien entendu, à  cette à©poque, je ne savais pas où j`à©tais ", dit Ali. " Avant d`entrer dans cette prison, on m`a fouillà© avec une procà©dure trà¨s humiliante ". La procà©dure dont Haj Ali parle dure environ une heure, une heure et demie. Les amà©ricains relà¨vent ses empreintes digitales, lui font un fond d`oeil et font quelques prà©là¨vements corporels, puis le transportent dans une pià¨ce pour l`interrogatoire. " Ces pià¨ces, en rà©alità©, sont des cabinets inondà©s d`eaux usà©es. Deux agents et un traducteur à©taient assis loin de moi, loin de l`à©gout ". On oblige Ali à  s`asseoir au fond de ce trou plein de merde. Ils lui demandent immà©diatement : " Tu es sunnite ou chiite ? ".

Ali est pris de cours. " C`à©tait la premià¨re fois que j`entendais cette question ", dit-il. Il explique qu`avant, en Irak, du fait aussi de la loi sur le mariage , on ne demandait pas quelle à©tait la confession d`appartenance religieuse. Puis on l`accuse d`avoir attaquà© les forces d`occupation. Haj Ali montre ses doigts et fait voir un dà©faut qui le rend incapable de manier une arme à  feu. " Je leur ai dit que je n`aurais pas pu participer, et qu`ils prennent le numà©ro de tà©là©phone du mà©decin qui m`avait opà©rà©. Ils m`ont màªme demandà© si je connaissais Oussama Ben Laden - continue Ali- et j`ai rà©pondu que je le connaissais à  la tà©là©. Ils continuà¨rent à  me poser des questions de ce genre, màªme sur Saddam Hussein. J`avais l`impression qu`ils cherchaient à  m`accuser de quelque chose. Aprà¨s ils ont dit que j`à©tais anti-sà©mite, à  quoi j`ai rà©pondu que je considà¨re les sà©mites comme à©tant les pà¨res de l`humanità© ". " Alors tu sais de quoi je parle ", rà©pond un des responsables de l`interrogatoire.

Les hommes qui l`avaient capturà©, lui disent ceux qui l`interrogent, savaient qu`il à©tait une personne influente, qu`il à©tait un mukhtar de son village et lui demandent : " Pourquoi tu ne collabores pas avec nous ? On pourrait màªme te faire opà©rer la main ". L`homme qui dirige l`interrogatoire rà©pà¨te sans arràªt : " Nous sommes le plus grand peuple du monde, nous vous avons occupà© et vous, vous devez vous rendre et collaborer ".

La suite rà©và¨le que l`enlà¨vement de Haj Ali, et de nombreux autres qui ont eu le màªme destin, n`a pas pour objectif d`" arràªter l`insurrection ", mais plutà´t d`obtenir des renseignements, et de recruter des gens parmi les personnages importants des villages de la zone et des socià©tà©s tribales. Quoi qu`il en soit, Haj Ali n`accepte pas et rà©pond : " Si vous vous dà©finissez comme des occupants, alors rà©sister à  la force d`occupation est là©gitime selon la loi islamique et le droit international ". Mais les hommes qui l`interrogent continuent à  lui demander s`il voulait collaborer, puis le menacent de l`envoyer à  un endroit où " màªme les chiens ne survivent pas, ou màªme à  Guantanamo ".

Aprà¨s ce premier interrogatoire, Haj Ali est embarquà© dans un camion. On distribue aux prisonniers des sacs qu`ils doivent mettre sur la tàªte. Un des soldats demande : " Vous avez tous le sac pour mettre sur la tàªte ? ". Un des prisonniers, qui est aveugle, rà©pond que lui n`en a pas. Cet homme aussi est accusà© d`avoir attaquà© les forces d`occupation. Puis, quand on les fait descendre, on les transporte à  un endroit de la prison appelà© " Fidji ". Là , ils sont sous des tentes, par groupes de cinq tentes. Chaque groupe est entourà© de fils de fer barbelà©s et d`un mur de 15 mà¨tres. " C`est là  qu`on mettait ceux que les amà©ricains appelaient " les gros poissons ".

Haj Ali continue à  parler des conditions de vie. " Dans chaque tente, il y a quarante personnes, il n`y a pas de place, et si tu veux dormir il faut te coucher sur le cà´tà©. Dans les cinq tentes vivent environ 300 personnes ". Les prisonniers avaient des cabinets portables à  leur disposition. Ils devaient faire la queue pendant deux ou trois heures, les toilettes à©taient pleines " avant que n`arrive ton tour ". Toute autre possibilità© de toilette à©tait pratiquement impossible. Dans chaque tente les prisonniers partageaient chaque jour 20 litres d`eau pour tous les besoins. Pour boire ils devaient utiliser des bouteilles trouvà©es dans les poubelles. " La nourriture aussi à©tait trà¨s mauvaise ", raconte Haj Ali. " Nous n`avions pas de repas rà©guliers et, si une seule personne manquait à  la discipline, on avait des punitions collectives. Par exemple, si un prisonnier parlait avec un prisonnier d`un autre camp, tout le camp à©tait privà© de repas, ou bien on à©tait obligà©s de rester debout au soleil pendant des heures. A un moment, une chose à©trange arriva à  un chiite disciple de Al Sadr, qui s`appelait Sheikh Jaber-al-qadi. Comme tous les autres, dans le camp, venaient de villes sunnites comme Fallujah, Ramadi et Mosul, il se sentait isolà©. Pour l`aider, nous lui avons demandà© d`àªtre notre guide pour la prià¨re, et de la dire avec nous ". Quand à§a s`est passà©, les amà©ricains ont attrapà© le gars et lui ont hurlà© : " Pourquoi tu pries avec les sunnites ? ". Et ils l`ont tabassà©.

Pendant cette pà©riode Haj Ali a rencontrà© de nombreux groupes provenant de plusieurs prisons, parmi lesquelles celle de l`aà©roport de Bagdad et de Mosul. Il a commencà© à  entendre des histoires de torture, à  voir des signes de torture ; il entend màªme parler de gens à  qui on a injectà© des substances hallucinogà¨nes pour qu`ils voient des choses effrayantes, des scorpions ou des images de cauchemar. C`est à  cette pà©riode que Haj Ali a eu l`idà©e de fonder une association pour reprà©senter ces prisonniers. Haj Ali est de nouveau interrogà©, et ils le menacent une fois de plus de l`envoyer à  Guantanamo ou dans d`autres endroits de ce genre. Il raconte que " des femmes soldats à©taient prà©sentes pendant les interrogatoires et qu`elles exhibaient des parties de leur corps ".

La torture de Ramadan

Pendant le Ramadan, les prisonniers ont une autre souffrance à  supporter. Pendant le mois de Ramadan, les musulmans ne peuvent pas manger, du lever au coucher du soleil. Pendant toute cette pà©riode, le deuxià¨me repas à©tait apportà© aux prisonniers juste aprà¨s la prià¨re du matin, ce qui signifiait que les prisonniers devaient rester là  à  le regarder jusqu`à  11 heures du soir. " Ils voulaient faire plier notre capacità© de rà©sistance ", c`est comme à§a que Haj Ali explique ces pratiques. " Six gà©nà©rateurs à©lectriques fonctionnaient jour et nuit, avec un bruit incroyable. Chaque gà©nà©rateur à©tait relià© à  trois lampes seulement. Ils ne faisaient presque pas de lumià¨re, rien que du bruit. Bien entendu, dans les tentes il n`y avait pas d`à©lectricità© ".

Puis, un jour, on appela son numà©ro, 11 716. On lui met des menottes aux mains et aux pieds, on lui couvre la tàªte d`un capuchon et on le met sur une jeep hammer. " Quand ils m`enlevà¨rent le sac de la tàªte, j`à©tais dans un long corridor. J`entendais un tas de gens qui criaient à  cause des tortures. Ils me dirent d`enlever mes vàªtements, ma djellaba (vàªtement traditionnel des hommes musulmans), mon tricot, et mon slip ". Comme il refusait, cinq soldats l`attrapà¨rent et le dà©shabillà¨rent de force. Aprà¨s à§a, il dut marcher pendant dix mà¨tres environ, jusqu`à  un escalier. " Ils voulaient que je monte ces escaliers, mais mes pieds à©taient trà¨s faibles et je n`arrivais pas à  soulever les jambes. Je tombai par terre et ils se mirent à  me tabasser. Alors, j`ai dà» me hisser en me traà®nant. Il m`a fallu une heure ".

Aprà¨s, Haj Ali est jetà© contre un mur, les mains attachà©es au chà¢ssis d`une porte, en extension. " Bien sà»r, ils me frappà¨rent de nouveau, ils versà¨rent sur moi de l`urine et de l`eau souillà©e, ils à©crivirent sur mon corps, tirà¨rent des salves de coups de feu, ils utilisaient un haut parleur pour me hurler des insultes dans les oreilles et faisaient claquer les menottes, toujours dans les oreilles. Je restai comme à§a jusqu`à  la prià¨re du matin ".

Quand ce fut le moment de la prià¨re du matin, quelqu`un vint lui enlever le capuchon. Il me demanda, en parlant avec un fort accent arabe libanais : " Tu me connais ? Je suis trà¨s connu, j`ai fait des interrogatoires à  Gaza, en Cisjordanie et dans le sud du Liban. J`ai une bonne rà©putation : ou je tire ce que je veux d`un dà©tenu, ou je le finis ".

[Edition de vendredi 9 septembre de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivi/09-SEttembre-2005/art74.html
Traduit de l`Italien par Marie-Ange Patrizio
Cette version est une traduction d`un texte qui a du àªtre traduit au dà©part de l`arabe, en passant par plusieurs interprà¨tes. La version italienne, peut-àªtre pour rester proche d`un texte qui prà©sente des incertitudes dans le vocabulaire voire des invraisemblances, est elle-màªme quelques fois approximative. J`ai fait le choix de ne pas rester trop prà¨s de ces incertitudes et de simplifier en fonction du sens... Je ne pense pas cependant que cette version soit trop à©loignà©e du texte de base. (m-a p)]

" Je reconnus son accent arabe, c´à©tait celui des juifs maghrà©bins (sà©farades), voilà  pourquoi nous disons que nous sommes victimes de l´occupation amà©ricano sioniste ". Haj Ali subit ce traitement pendant trois jours. On le lui fait dans plusieurs positions, on le fait rester sur la pointe des pieds. On lui dit que sa main allait " pourrir ". " Aprà¨s j´ai compris que ce que j´à©tais en train de subir entrait dans le cadre d´une opà©ration appelà©e Iron horse, destinà©e à  recruter des gens influents, des chefs de tribu, pour les faire travailler pour l´ occupant ". Le troisià¨me matin, à  nouveau, Haj Ali rencontre un à©tranger, et une fois de plus on lui propose sa libà©ration en à©change de sa collaboration. " Je rà©pondis que je n´avais rien à  dire ". " Pendant tout l´interrogatoire, j´entendis des hurlements, des hurlements de femmes, des hurlements d´enfants. Tous ceux qui passaient dans le hall me frappaient. "

By the rivers of Babylon

Aprà¨s la prià¨re de midi, ils lui attachent les poignets avec des bandes de plastique, l´amà¨nent dans une cellule et le mettent à  une barre. Ils le font à©tendre sur le dos et apportent un gros haut-parleur. Ils mettent la chanson By the rivers of Babylone (tirà©e du psaume 137 de la bible, NDR) sans arràªt, à  plein volume. Haj Ali raconte qu´à  ce moment-là , bien entendu, il voulait qu´on lui remette le capuchon qu´on lui avait enlevà© entre-temps. Un peu aprà¨s, l´homme qui faisait l´interrogatoire vient lui enlever le haut-parleur, mais dà©sormais Haj Ali n´arrive plus à  rien entendre. " J´avais encore la chanson dans les oreilles, màªme s´ils avaient à©teint la musique ". Malgrà© les seaux d´eau qu´on lui jette à  la figure, " je n´arrivais pas à  entendre une seule parole de ce que me disait l´homme ". Alors ils le font mettre debout, lui font à©tendre les bras hors des barreaux de la cellule et le menottent dans cette position. " C´à©tait le cinquià¨me jour que je ne mangeais plus ", dit Ali. L´homme prà©posà© à  l´interrogatoire revient et lui dit qu´ils ont fait une " fàªte de bienvenue ". " Plus tard, dit Ali, j´ai appris que c´est un traitement qu´ils font à  tout le monde ".

Cellule numà©ro 49

" On me mit dans la cellule 49. Ils me firent une photo avant de m´enfiler le capuchon, puis firent une autre photo. Je regardais dans les cellules en face de moi et je reconnus un imam. Tous les prisonniers à©taient dà©vàªtus. " Ne t´en fais pas, me dirent ces pauvres gens, nous sommes comme à§a depuis trois mois. " Alors Haj Ali cherche à  se couvrir avec du papier utilisà© pour la nourriture, mais les amà©ricains ne le laissent pas faire : " Les amà©ricains nous avaient donnà© un surnom à  chacun. "Big Chicken", Dracula, " l´homme loup ", Joker, Gilligan. Moi ils m´appelaient Colin Powell ".

Le lendemain arrive Charles Graner, le spà©cialiste, qui sera ensuite inculpà© pour le scandale d´Abu Ghraib. Haj Ali a une bande sur la main pour couvrir une blessure, le sang est mal coagulà©. Il attrape et arrache la bande, qui emporte la chair. Haj Ali perd connaissance. " Le jour suivant, je demandai à  une femme soldat un mà©dicament anti-douleur. Elle me dit de tendre la main au dehors en la faisant passer sous la porte. Je pensais qu´elle voulait voir ma main, mais elle monta dessus en disant : " voila l´antidouleur amà©ricain ". Quinze jours plus tard on lui donne une couverture. " J´essayais de m´en servir pour me couvrir, et mes amis à©taient contents pour moi ". Dans cette enceinte, appelà©e " la fosse ", Haj Ali raconte qu´il entendait des hurlements : " Quand ils voulaient porter de la nourriture aux prisonnià¨res, ils envoyaient des hommes nus ". Les prisonnià¨res à©taient otages pour des frà¨res, des pà¨res ou des fils. " On les entendait hurler, elles ne faisaient que crier Allah Akbar (Allah est grand, NDR) ".

Aprà¨s 15 jours, les interrogatoires s´accà©là¨rent, les amà©ricains voulaient se dà©barrasser de ces prisonniers pour faire rentrer des gens nouveaux, dans une rotation entre les fosses et les tentes à  l´extà©rieur. Un de ses amis demande à  une femme soldat : " Pourquoi nous humiliez-vous ? ". Elle rà©pond : " Ce sont les ordres, vous humilier, dans cette situation ". Ils l´amà¨nent ensuite dans la salle des interrogatoires. Il se retrouve face à  dix personnes, certains en uniforme, d´autres en civil. Ils ont des tà©là©phones et des appareils photo. " Là , je crus ràªver et je pensai qu´ils utilisaient les tà©là©phones pour enregistrer le son ou quelque chose de ce genre ", dit Ali. C´est dans cette salle que se passe la scà¨ne qu´on a vue ensuite dans le monde entier comme l´exemple des tortures pratiquà©es par le rà©gime amà©ricain. " Ils me firent monter sur un tabouret avec un capuchon sur la tàªte et les bras à©cartà©s. Ils me dirent qu´ils allaient m´envoyer des dà©charges à©lectriques. Moi, je ne le croyais pas. J´eus la sensation que mes yeux jaillissaient hors des orbites. Puis je tombai par terre ".

Les mains et la tàªte attachà©es à  un tube

Pendant cette sà©ance, Haj Ali se mord la langue. Le mà©decin arrive, lui arrache la cagoule avec sa chaussure, verse de l´eau dessus. " Il ne vit aucune blessure sur la langue ", dit Haj Ali, " et il leur dit de continuer. D´habitude les mà©decins participaient aux tortures. Ils dà©cidaient si les prisonniers simulaient ou exagà©raient la douleur et faisaient signe aux tortionnaires de continuer ". Ils l´emmà¨nent trois fois dans cette salle, et le soumettent cinq fois aux dà©charges à©lectriques. Ils lui attachent la tàªte et les mains à  un tube du plafond, lui mettent du pain sec dans la bouche. Ils lui font quelques photos et l´interrogent à  nouveau. Pendant qu´ils l´interrogent ils lui demandent : " Qu´en dirais-tu si on essayait d…‘autres tortures ? ". Haj Ali rà©pond : " Plus vous nous torturez, plus Dieu nous rà©compensera ".

L´imam

Mais Haj Ali n´est pas le seul à  subir ce type de traitements. " J´ai vu l´imam de la plus grande mosquà©e de Fallujah. Il avait 75 ans. Ils ne se sont pas contentà©s de le traà®ner nu, ils lui ont aussi fait porter de la lingerie fà©minine. Et une autre, encore : ils ordonnà¨rent à  un prisonnier d´uriner avec un sac sur la tàªte. Quand ils le lui enlevà¨rent, il vit que c´à©tait son pà¨re qui à©tait dessous, et ils photographiaient la scà¨ne ". " Une des femmes soldats se dà©shabilla devant l´imam d´une autre mosquà©e – dit Ali- et lui demanda d´avoir un rapport sexuel avec elle. Comme il refusait, bien sà»r, la femme prit un pà©nis artificiel et le viola ".

Haj Ali dit que ces camps de prisonniers sont en fait des camps de formation pour la rà©sistance. " D´habitude, 90% des gens arràªtà©s sont innocents. Et une fois sortis, ils sont parfaitement pràªts à  commencer une rà©sistance armà©e contre les occupants. Quiconque a à©tà© traità© de cette faà§on, ou voit son frà¨re ou sa s…œur traità©s comme à§a, le ferait ". Et là  Haj Ali souligne aussi l´importance de comprendre quel effet cette faà§on de traiter les femmes peut avoir sur la socià©tà© arabe.

Aprà¨s 49 jours dans la fosse, il entend les hommes qui l´interrogeaient dire qu´il avait à©tà© arràªtà© par erreur et qu´on allait le renvoyer dans la tente. Le lendemain, un soldat vient le chercher et le ramene dans le camp. " Tu es nà© une deuxià¨me fois " dit-il. Une fois revenu dans la tente, aprà¨s avoir à©tà© accueilli, il passe deux jours à  regarder le ciel, en essayant de refaire la paix avec la lumià¨re. Les cellules à©taient trà¨s sombres. " Pendant ma pà©riode de cellule j´ai perdu 38 kilos, et à§a je le sais parce que quand j´à©tais arrivà© ils m´avaient mis une bande au poignet sur laquelle ils avaient à©crit mon poids ". Aprà¨s tout à§a, on lui redonne ce qui lui appartenait, on le met dans un camion avec un sac sur la tàªte, mais cette fois sans les menottes. Puis ils le jettent hors du camion. " Quand j´enlevai le sac, je vis que j´à©tais dehors, sur la route. Je compris alors que j´avais à©tà© relà¢chà© ".

Ainsi finit l´histoire de Haj Ali à  Abu Ghraib. Aprà¨s l´explosion du scandale d´Abu Ghraib, Haj Ali a reà§u une formation de l´ONU sur les questions relatives aux droits de l´homme . Il voulait utiliser son expà©rience pour fonder une association et il est allà© au gouvernement irakien pour se faire aider, mais il s´est entendu rà©pondre qu´ " il n´existe pas de mauvais traitements dans nos prisons ". Alors a à©tà© organisà©e une confà©rence de prà©sentation de l´ " Association des victimes des prisons amà©ricaines d´occupation ". Les objectifs sont de diffuser les informations sur la torture et sur ce qui arrive dans ces prisons, aider ceux qui sont relà¢chà©s et aider les familles à  contacter leurs parents prisonniers. L´association ne s´intà©resse pas qu´aux amà©ricains. " De nombreuses prisons sont gà©rà©es par des privà©s, des mercenaires ", explique Ali. " Il y a des gens du monde entier. Il n´y a pas que les amà©ricains qui sont coupables ".

Un crime contre l´humanità©

" Ce qui arrive en Irak est une rà©action trà¨s naturelle à  toutes ces violations " dit Haj Ali. " Ce qu´on apelle violence est une rà©action trà¨s naturelle ". " A l´à©poque de Saddam, il y avait 13 prisons. Maintenant, il y en a 36 gà©rà©es par le gouvernement, et 200 par les milices gouvernementales. Les prisons irakiennes sont pires, nous avons vu des cas attestà©s d´ongles arrachà©s, de mains à©crasà©es, tout à§a avec le consentement des USA ". " Tout ce qui est en train d´àªtre commis en Irak est aussi un crime contre le peuple europà©en et contre le peuple amà©ricain. Ils perdent la face. La torture est pratiquà©e par toutes les nationalità©s ". " Je ne blà¢me pas celui qui enlà¨ve un à©tranger, parce que c´est une rà©action à  ce qu´il a subi ". Son association travaille maintenant sur la rà©habilitation physique et psychologique. L´histoire de Haj Ali n´est pas finie. Le premier et le 2 octobre, il devrait venir en Italie pour la raconter au mouvement europà©en pour la paix et contre la guerre. Et il continuera à  la raconter à  tous ceux, dans le monde, qui sont disposà©s à  entendre, de la part d´un tà©moin direct, des informations sur les mà©thodes de torture et sur les abus pratiquà©s par les amà©ricains.

Comità© Irak libre Norvà¨ge (nous remercions le docteur Hisham Bustani qui a rendu cette entrevue possible)
Traduit par Marina Impallomeni

Edition de samedi 10 septembre de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/10-Settembre-2005/art77.html
Traduit de la version italienne par Marie-Ange Patrizio