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Lettre du premier prisonnier politique belge

22. November 2006

du prison de GandChers amis et amies,

J’ai reà§u de mon cher à©poux, le ” grand dirigeant d’organisation terroriste “, ma premià¨re lettre. Je la partage avec vous…

Bahar est considà©rà© comme ” trà¨s dangereux” par la direction de la prison de Gand. De ce fait il n’a pas le droit à  l’accà¨s à  la bibliothà¨que et aux actività©s comme le sport et des films en salle avec les autres dà©tenus. Il est empàªchà© de sortir de sa cellule 23 heures sur 24. Nos visites se font toujours derrià¨re une vitre…

Bahar m’a à©tà© enlevà© parce qu’il a osà© s’exprimer. Il est emprisonnà© pour ses convictions, au nom des lois “antiterroristes”. Au-delà  de la souffrance d’une à©pouse, c’est la dà©mocratie, la libertà© d’expression qui sont menacà©es. C’est pourquoi je me permets de vous appeler à  nous rejoindre dans notre combat : le Clea organise une sà©rie d’actività©s auxquelles vous pouvez vous associer pour soutenir la campagne “Libertà© pour Bahar!”

Bien à  vous,
Deniz Demirkapi
tel : 0486 846 170
e-mail : deniz-demirkapi@hotmail.com
www.leclea.be

Prison de Gand, le 8 novembre 2006, vers 22h

Plus de 20 heures viennent de passer en ton absence. Et au moins 20 mois devront passer avant que je ne puisse à  nouveau te toucher, te caresser les cheveux et t’embrasser. Peut-àªtre màªme 40 ou 60.

Ce chà¢timent, c’est de la cruautà© à  l’à©tat pur, de la barbarie gratuite, du terrorisme d’Etat.
Une fois de plus, nous avons à©tà© tà©moins et victimes d’une justice de classe, inique, bourgeoise et coloniale. Une justice du plus fort. Mais surtout une justice des vaincus. Ils sont paniquà©s devant la colà¨re des peuples et la contestation sociale croissantes.

Alors, dans un à©lan de dà©sespoir, entrainà©s par leurs instincts bestiaux, ils s’acharnent sur nous, sur moi, parce qu’il y a six ans, j’ai dit “nous” en parlant du DHKP-C. Ce “nous” a à©tà© interprà©tà© par le procureur fasciste Delmulle et ses comparses les juges Logghe, Denys et Libert, comme la preuve de mon appartenance au DHKP-C et màªme de mon rà´le de dirigeant au sein du mouvement. Au moment où j’avais prononcà© ce “nous” fatidique, l’armà©e turque à©tait occupà©e à  assassiner nos camarades prisonniers au nom d’une soi-disant opà©ration de “retour à  la vie”.

Ce jour-là , un jour triste de dà©cembre qui vit la mort de 28 dà©tenus, j’aurais pu revendiquer tout acte de violence rà©volutionnaire contre l’Etat turc. Ce “nous” à©motionnel et empathique, les juges l’ont pris pour un “nous” rà©el, physique et effectif. Ce tout petit “nous” a fait de moi un dirigeant d’une organisation politico-militaire clandestine vieille de 36 ans, alors que n’importe quel sympathisant du DHKP-C a qui on tendrait le micro aurait tenu les màªmes propos. Il n’est d’ailleurs pas rare que des milliers de manifestants crient à  l’unisson leur soutien à  la lutte armà©e et à  la guà©rilla du DHKP-C.

Moi qui ai toujours luttà© publiquement et pacifiquement pour la dà©mocratisation en Turquie, en coopà©ration avec des personnalità©s politiques, des institutions gouvernementales et des ONG, comment aurais-je pu àªtre un dirigeant du DHKP-C? Je crois bien que les premiers à  devoir s’à©tonner de ce scoop sont les và©ritables dirigeants agissant dans la stricte clandestinità© quelque part dans les villes et les montagnes de Turquie ou ailleurs dans le monde. Les magistrats ont ainsi grossià¨rement et mesquinement menti. Ont-il menti par pure imbà©cillità©? Certainement pas. C’est manifestement par nà©cessità© de justifier l’application des nouvelles lois anti-terroristes en prà©vision des prochains conflits sociaux qui à©clateront en Belgique. On ne le dira jamais assez: ce procà¨s politique intentà© contre nous cadre parfaitement dans la stratà©gie de guerre prà©ventive de l’impà©rialisme nord-amà©ricain.

Victor Hugo a à©crit un jour: “Grattez le juge, vous trouverez le bourreau” Chez nos juges, il ne fallait màªme pas gratter: ils ont la haine à  fleur de peau. Cette vielle haine anti-sociale qui caratà©rise les rà©gimes les plus arbitraires, les plus obscurantistes, les plus inhumains. Mais, comme disaient nos ancàªtres, “les chiens aboient, la caravane passe.” En effet, ils ont beau s’exciter et mordre comme des chiens enragà©s, notre combat pour la justice, la fraternità© et la dignità© se poursuit.

Avec ou sans moi et malgrà© eux, nos espoirs avancent au galop, sur la piste de la Victoire en marchant sur leur queue à  Bint Jbeyl, à  Oaxaca, à  Gaza, à  Ramadi et à  Istanbul. C’est ce qui fait notre bonheur. C’est un bonheur que nous payons trà¨s cher ma petite fleur mais ce monde injuste ne nous laisse guà¨re le choix. Chaque jour, des femmes et des hommes meurent pour avoir dà©fendu leurs idà©es. Comparà© à  eux, notre sacrifice est finalement bien dà©risoire. Dà©risoire mais si indispensable. Et là , je parle de tous les amis et camarades qui ont contribuà© à  la campagne pour la libertà© d’expression et d’association en Belgique. Embrasse-les toutes et tous de ma part. Embrasse à©galement nos mà¨res, nos grands parents et tous ceux dans la famille qui mà©ritent le respect. Je suis fier de toi mon ange gardien. Je t’embrasse de tes là¨vres sà¨ches et de tes yeux humides avec tendresse, passion et amertume.

PS: Aprà¨s mon arrestation, j’ai à©tà© mis à  nu, affublà© d’un gilet par balles et menottà©. Puis on m’a fait porter un cache-yeux. Aprà¨s m’avoir installà© dans un và©hicule de police, j’ai à©tà© attachà© au sià¨ge et enchaà®nà© par les pieds. Durant le trajet les policiers ont fait passer une musique trash assourdissante en langue allemande. Ainsi pendant plusieurs minutes, on m’a fait subir exactement le màªme traitement que celui qui est dà©crit dans le film “The road to Guantanamo”.

Vers minuit, nous arrivons à  la prison de Gand mais je ne suis pas au bout de mes peines pour autant: sous prà©texte de manque de cellule, on me met au cachot de la prison. Là , je vais 12 heures infernales. L’odeur de pisse et de merde à©tait insoutenable. La merde s’à©tait accumulà©e dans une cuvette trà¨s profonde mais il n’y avait pas de chasse d’eau, en tout cas, à  l’intà©rieur du cachot. Le matelas en mousse à©tait dans à©tat indescriptible: trouà©, dà©composà©, puant et complà¨tement recouvert de cheveux et de poils humains incrustà©s dans la mousse. La couverture puait la mort. Les moustiques en provenance de la cuve des toilettes ont tournoyà© au dessus de ma tàªte pendant toute la nuit. Avant de me laisser à  mon sort, les gardiens m’ont une nouvelle fois mis à  nu et à  genoux. A la place de mes vàªtements, j’ai dà» porter une chemise à  manches courtes bleue ciel et un pantalon en toile de couleur bleue marine dont les boutons manquaient. Donc, chaque fois que je me levais, je devais tenir mon pantalon pour pouvoir marcher. Je ne me suis jamais senti aussi sale que lorsque je m’installai sur ce matelas sans drap ni housse qui ressemblait à  un gruyà¨re noirci et moisi. L’air à©tant irrespirable, je glissai ma tàªte dans ma chemise malgrà© la difficultà© à  respirer à  travers ses mailles. Vers 10h une à©quipe mà©dicale vint me poser des questions sur ma santà©. J’ai rà©pondu que j’allais bien jusqu’au moment où on m’a enfermà© ici et que ce sont des conditions inhumaines. Vers 12h j’ai pu enfin gagner une cellule un peu plus dà©cente mais de qualità© 10 fois infà©rieure à  la prison de Dordrecht…

Bahar

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